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— Comment, parti ! s’écria Kassem consterné, comment parti ? Ce n’est pas possible ! Il avait encore mille choses de la dernière importance à m’apprendre ! Il n’est pas possible qu’il soit parti !

— Il l’est, cependant, répondit Amynèh un peu étonnée de l’agitation de son mari. Quelle affaire avais-tu donc avec cet homme ?

Kassem ne répondit rien, et d’un air sombre, irrité, concentré, il sortit de la chambre et quitta la maison. Il n’avait pas cessé de tenir le lingot d’or. En droite ligne, il courut au bazar et entra chez un joaillier de sa connaissance.

— Le salut soit sur vous, maître Abdourrahman, lui dit-il.

— Et sur vous le salut, Mirza, répliqua le négociant.

— Faites-moi une faveur ; dites-moi ce que vaut ce métal.

Maître Abdourrahman mit ses vastes lunettes sur son nez, considéra le lingot, le passa à l’éprouvette et répondit paisiblement :

— C’est du bel et bon or, pur de tout alliage et qui vaut à peu près une centaine de tomans. Si vous le désirez, je le pèserai exactement, et vous remettrai le prix avec déduction d’un très-petit bénéfice.

— Je vous remercie, répondit Kassem, mais, pour le moment, rien ne me presse de me séparer de cet objet, et j’aurai recours à vous, en temps et lieu.

— Quand il vous plaira, répartit le marchand.

Il salua Kassem, qui prit congé et sortit.

Il s’en alla à travers les bazars, frôlant les boutiques ; mais les apostrophes enjouées des femmes qui, sous le voile, se permettent tout (on ne le sait que trop), les appels et les compliments de ses connaissances, les avertissements brusques des muletiers et des chameliers, pour qu’il eût à faire place à leurs bêtes, qui se succédaient en files interminables attachées à la queue les unes des autres et chargées de ballots dont il fallait craindre le contact pour chacun de ses membres, tout cela, qui l’amusait d’ordinaire, le fatiguait jusqu’à l’irriter aujourd’hui. Il avait un besoin impérieux d’être seul, livré à ce monde de pensées qui le tyrannisaient et le voulaient posséder sans conteste. Il sortit de la ville, et ayant atteint dans le désert un