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du fait lui-même. Il fallait que le comte Cabarot parût en personne. C’est ce qui avait eu lieu.

On a vu ce qui en advint. L’illusion d’Emmelina, brutalement heurtée, rendit, comme un vase d’airain, un son strident et plaintif, dont la vibration était effrayante. Mais enfin ce son, si longtemps qu’il se prolongeât, finit par cesser ; les plaintes, les larmes s’arrêtèrent, l’oubli vint avec la disparition de l’objet qui avait causé la douleur et, obstinément, Emmelina retomba dans son illusion.

Quand elle se retrouva à sa croisée, qu’elle eut tiré le rideau, ouvert le vitrage, et qu’à vingt pas d’elle, l’être aimé, courbé sur son établi, lui apparut, elle perdit la pensée de Cabarot, et du reste aussi complètement que si elle ne l’eût jamais eue. Tout son bonheur lui revint avec les flammes accoutumées ; et, avec le même abandon, la même confiance, la même extase que la veille, elle se laissa aller à cette contemplation qui gonflait de vie sa pauvre poitrine et usait par son ardeur le peu d’existence que le sort avait départi à cette organisation maltraitée.

On est peut-être curieux de savoir si une passion aussi véhémente, aussi belle avait produit quelque effet sur l’être qui en était l’objet. D’ordinaire, ce me semble, le lecteur d’une histoire s’intéresse à celui qui a l’initiative en amour, et n’aime pas à le savoir opprimé ni malheureux.

Cette disposition bienveillante n’aura pas ici grande satisfaction. La seule sensation que fit Emmelina sur son voisin fut toujours celle d’une petite personne fort désœuvrée et très curieuse qui, grâce à l’immense fortune de son père, pouvait vivre dans la fainéantise (je me sers