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Si au contraire les déclarations de Jeanne étaient favorables, si Emmelina n’avait demandé à boire que deux fois, M. Irnois était plus économe de jurons et d’invectives, et chacun se ressentait de cette bénignité.

Alors Jeanne retournait habiller la jeune fille ; ce n’était pas une toilette charmante comme celle des Grâces ; on lui mettait quelque robe de mérinos en hiver ou de toile en été, avec un bonnet qui tenait ses beaux cheveux enfouis, et l’affaire était faite jusqu’au moment de se coucher.

Habillée, Emmelina recevait dans son fauteuil les bonjours et les mamours de toute la famille, et la brusque accolade de son père ; après déjeuner, il était assez dans ses habitudes de dire à sa mère :

— “Maman, je vais m’asseoir sur tes genoux.”

— “Viens, mon cher ange !” répondait Mme Irnois. La pauvre enfant malade se couchait sur le giron de sa mère et souvent s’y endormait, ou veillait sans rien dire en se laissant couvrir de baisers qu’elle ne rendait pas.

On ne viendra sans doute pas demander maintenant si Emmelina avait de l’esprit. Non, certes ! elle n’en avait pas, la malheureuse fille ! ni rien qui ressemblât à l’agitation de l’intelligence. Qu’est-ce que l’esprit, sinon de savoir deviner et exprimer les rapports réels ou factices qui existent entre les choses ? L’esprit ne saurait se développer au milieu de la solitude, ni avec la compagnie des imbéciles, et il n’était personne, dans la maison de M. Irnois, dont le contact pût permettre à Emmelina d’avoir de l’esprit. Puis, comme on ne lui avait rien