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ne t’engage avec un parti politique ; tu te casserais le cou. Sois légitimiste avec modération ; les républicains aiment assez cela.

Hautebraye me mena chez madame Olympe Berbier. Elle avait alors pour ami principal un immense Américain qu’on appelait Buffalo. Dieu ! que nous avons fait de bonnes parties dans cette maison ! Un soir, il fallut appeler la patrouille pour mettre dehors un prince japonais qui ne voulait pas s’en aller. J’étais honnêtement féru de la sublime Olympe, d’autant qu’il est de fait qu’elle me préférait, et je ne sais vraiment pas où cette histoire-là m’aurait pu conduire, malgré les avertissements de mon cousin, si la dame ne s’était avisée, un matin, de venir chez moi tout en larmes, parce que, me disait-elle, son propriétaire la menaçait de saisir ses meubles. Elle voulait quinze mille francs.

Elle prétendait que Buffalo s’était brouillé avec elle à cause de moi et que je la réduisais à la misère. D’abord, j’en conviens, je fus ému du désespoir de madame Berbier, sans compter qu’elle était adorable au milieu de ses larmes ! Heureusement, j’eus peur d’être attrapé ; cette réflexion me remit dans mon bon sens. Je consolai la belle de mon mieux ; je lui promis de songer à sa demande et de lui remettre ma réponse dans la journée. Elle me le fit jurer et me dit adieu. Ma foi ! savez-vous ce que j’imaginai ? Je lui envoyai un bouquet de roses blanches ! Le soir, je racontai mon aventure au club et j’en eus un vrai succès. La pauvre Olympe reçut le lendemain une avalanche de fleurs de tous ses amis. Il n’en est pas moins certain qu’elle ne m’avait pas menti ; mais comment distinguer le vrai du faux ?

La vie élégante ne donne pas seulement à l’intelligence cette netteté, cette précision, cette sûreté du jugement