Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tent, sans s’en rendre compte, au petit spectacle, à la comédie des ruses, des vices ; ils sont victimes, ils sont trompés, ils sont battus… ils sont vainqueurs et oppresseurs à leur tour. Ils apprennent à se défier, à comprendre ce que parler veut dire, et l’expérience (la science la plus précieuse et la plus nécessaire de toutes), ils l’acquièrent à leurs dépens, avant d’avoir de la barbe au menton. Je vous dis là les choses comme elles sont et sans vous aligner des phrases ; je vous indique l’avantage effectif et inappréciable de la vie des lycées, et vous fais grâce des tirades sur les amitiés d’enfance, sur le mélange heureux des castes différentes, etc., etc., toutes déclamations privées de vérité. Mais, afin d’en arriver au point suprême, tenez pour certain que c’est à l’éducation publique que nous, Français, nous devons le trait principal de notre caractère moderne, celui qui nous suit de l’enfance à la tombe, la peur horrible de passer pour dupes, et la résolution bien arrêtée de tout faire au monde afin d’éviter un pareil malheur.

Quand j’eus terminé mes études, je dois avouer que je ne savais pas grand’chose de précis ; je possédais seulement une idée générale de toutes les questions, et, ce qui me paraît suffisant pour un homme du monde, j’apercevais des lueurs de tout qui me permettaient d’en causer et me mettaient même en état, pour peu que le cœur m’en dît, d’approfondir un jour, à mon gré, tel ou tel point, au moyen de la lecture des journaux et des revues. Il n’en faut pas davantage chez un esprit généralisateur, comme est le mien, et je dois dire qu’après avoir complété mon éducation par les moyens que je viens de vous indiquer, je me trouve aujourd’hui fort compétent en matière de philosophie politique et sociale, et capable de raisonner sur les arts avec originalité.