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mot, de ce que nous appelons bon sens, et ce sont là les qualités françaises par excellence. Vous me trouvez certainement assez avantageux de vous étaler de pareilles déclarations de but en blanc ; mais vous voulez mon histoire : consentez à ce que j’éclaire le théâtre sur lequel elle va se passer.

Mon père était un homme des plus distingués, excellent officier dans sa jeunesse, assez à la mode, et le bruit de ses aventures a duré longtemps. Entre nous, il avait été plus que bien avec la belle duchesse d’Arcueil, et elle lui donna une grande preuve de dévouement, en le mariant, un peu sur le tard, avec mademoiselle Coëffard, fille d’un entrepreneur célèbre. C’est de là que vient notre fortune, car mon pauvre père avait mangé, et bien mangé, son patrimoine. L’union de mes parents fut médiocrement heureuse, je suis forcé d’en convenir. Cependant le public n’eut jamais la confidence entière de leurs discordes, et, en somme, tout se passa à merveille ; quand ma mère mourut (il y a de cela une quinzaine d’années), mon père alla recevoir son dernier soupir à Plombières, et, depuis, il n’a jamais parlé d’elle que de la façon la plus convenable, je dirai même la plus généreuse.

Pour moi, comme j’étais né avec une complexion délicate et que ma santé exigeait des soins, on m’avait confié, presque dès ma naissance, à une vieille tante, sœur de mon père, madame Louise de Laudon, chanoinesse, qui m’a toujours gâté, dont je dois hériter et que j’aime beaucoup.

Ensuite, vers neuf ans, je fus mis au collége. C’est, à mon sentiment, une chose excellente que ce contact hâtif avec la vie pratique. Les enfants apprennent d’abord, dans nos grands établissements d’instruction, à voir l’existence comme elle est. Ils sont là, pêle-mêle avec des camarades appartenant à toutes les classes de la société ; ils assis-