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CHAPITRE SEPTIÈME

HISTOIRE DU TROISIÈME CALENDER FILS DE ROI

— Mes chers amis, tout spirituels que vous puissiez être, vous avez, l’un et l’autre, un grand malheur : vous êtes étrangers.

— Étrangers à quoi ? dit Nore.

— Dans tous les pays du monde, quand on n’est pas Français, on est étranger, continua Laudon sans se troubler, et je vous dirai franchement ma conviction : ce fait ne vous prive certainement d’aucune vertu cardinale, mais il vous rend inaptes à posséder jamais une foule de délicatesses, de perfections petites mais charmantes, de raffinements particuliers auxquels l’esprit français peut seul prétendre. Je n’en tire pas vanité pour mes compatriotes ni pour moi-même. Mais, croyez-moi, ce que je vous affirme, l’expérience des siècles le démontre. C’était l’avis de Charles-Quint ; ce fut celui de Frédéric II de Prusse ; l’empereur Joseph d’Autriche l’a pensé et la grande Catherine l’a proclamé. Inutile, puéril même de s’élever contre des autorités pareilles.

Je ne vous dissimulerai donc pas que, toute ma vie, j’ai eu cet idéal supérieur devant les yeux, et j’ai fait effort pour le réaliser autant qu’il est en moi. Je ne me pique pas d’être un parangon de mérite en aucun genre ; mais je serais désolé de manquer de distinction, d’à-propos, de tact, de mesure, et, dans l’acception la plus élevée du