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— Veux-tu partir demain pour Florence ?

— Certainement, et je ne reviendrai que sur votre ordre.

— C’est bien, pars donc.

Il me souleva doucement la tête et je me relevai. J’étais un autre homme. Encore bien ému, bien troublé, je n’avais pourtant plus à rougir de moi.

— Adieu, me dit Jean-Théodore, et il me tendit la main. Je voulus la baiser ; il la retira, et, me faisant un signe amical, il s’éloigna. J’étais resté à la même place, quand tout d’un coup il m’appela ; je courus à lui, il m’embrassa, et, d’une voix basse, me dit à l’oreille :

— Pardonnons-nous l’un à l’autre ; notre faiblesse est égale.

En rentrant à la maison, je réveillai mon père, et lui racontai mon histoire sans en oublier un seul mot. Je ne me ménageai pas.

Le docteur Lanze m’écouta avec la plus vive curiosité ; de temps en temps, il me tâtait le pouls, m’auscultait, écrivait une note. Quand je me tus, il eut un petit rire de satisfaction.

— Mon cher enfant, me dit-il, remarques-tu que ton cas est absolument semblable à d’autres envahissements de la même maladie signalés au moyen âge, dans l’antiquité, comme ayant été déterminés par des philtres, des maléfices, l’absorption de certaines plantes infusées ou distillées, ainsi que la verveine, par exemple ? Remarques-tu encore que, dès le temps d’Hérodote, les femmes scythes, c’est-à-dire slaves, passaient pour avoir de grands talents en sorcellerie et que les maladies d’insanité amoureuse venaient principalement de leur pays ? Je t’engage à relire le passage de l’historien d’Halicarnasse relative à ce fait ; dans ta position particulière, il ne peut que t’in-