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fendre ? Rien ! Si je vous frappe, je suis un tyran et vous un héros !… Par surcroît, c’est le fils de votre père qui me prouve ainsi que je ne peux pas l’écraser !

— C’est vrai, Altesse. Qu’est-ce qu’elle vous a raconté, madame Tonska ?

Dans ce moment, les rayons de la lune nous enveloppaient. Je voyais le prince aussi clairement qu’en plein jour et lui me voyait de même.

Il parut surpris de ma question et me regarda bien en face, non plus comme un Dieu prêt à me foudroyer, seulement comme un homme étonné. Il est vrai que les larmes couvrant mes joues, je devais avoir un air bien étrange.

Savez-vous ce qu’il fit ? Il tira son mouchoir de sa poche, m’essuya le visage et me fit asseoir sur un banc où il se mit à côté de moi ; mais je tombai sur mes genoux, je laissai aller ma tête sur les siens et je sanglotai amèrement ; amèrement, sans doute, mais avec un soulagement profond.

— Ce qu’elle m’a dit ? poursuivit le prince sans prendre garde à ce qui arrivait, elle m’a raconté ce qui s’est passé entre vous depuis la rencontre chez le bijoutier. Elle prétend que tu es amoureux d’elle, mais que tu ne veux pas et que tu ne peux pas le comprendre. Elle m’assure qu’elle ne t’aime pas plus qu’elle ne m’aime moi-même et qu’elle n’a jamais aimé personne ; mais, que se trouvant envers moi des devoirs qu’envers toi elle n’a pas, elle a l’intention de rompre vos relations.

— Elle l’a fait.

— Elle l’a fait ?

— Elle m’a défendu ce soir de reparaître jamais chez elle.

Ici, il y eut un silence. Après quelques instants écoulés, le prince me dit :