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main ; c’était pour le soir même ! Ne trouvez-vous pas que j’avais raison de haïr cette personne comme je le faisais ?

Je pris ma course et revins justement à la maison de la comtesse au moment où un coupé fermé en sortait. Cette voiture tourna la rue à gauche. C’est à Monbonheur ! Monbonheur ! pensai-je, est un petit château de plaisance à une demi-lieue de la ville, où le prince a ses livres, ses cartes, où il donne des rendez-vous de chasse. La princesse n’y met jamais les pieds. Je ne fus donc nullement surpris que Monbonheur fût l’asile de toutes les félicités !

J’avais accumulé jusque-là assez de sottises et il était temps de m’arrêter ; je n’y songeai pas. Dans cette nuit misérable, une folie furieuse s’était emparée de moi, et de quelle façon ? Pour quelle cause ? Qui le pourrait dire ou seulement soupçonner, puisque, encore une fois, je n’aimais pas la comtesse !

Quand je vis cette voiture qui, j’en suis certain, était la sienne, prendre la route de Monbonheur, je me mis à courir, et, comme il existait un chemin de traverse, je me flattais de devancer les chevaux, peut-être de dix minutes.

Plus je courais, plus ma tête se perdait. Je manquai la porte, j’arrivai à un saut-de-loup ; je descendis dans le fossé, je grimpai contre le mur d’escarpe en me cramponnant aux pierres et je me disais : Si le factionnaire m’aperçoit, il va me prendre pour un voleur !

Je parvins en haut et je sautai sur le terre-plein. Dans ce moment, une main se posa sur mon bras, me saisit avec colère.

— Où allez-vous, monsieur ?

C’était Son Altesse. Je fus atterré. Je verrai toujours