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ses yeux de fouine. Il aperçut madame Tonska, vint à elle, la salua, s’inclina, et je ne sais par quel instinct diabolique, par quelle double vue, je restai certain, mais certain, convaincu, pénétré, qu’il lui avait dit tout bas certaines paroles qui n’étaient que pour elle seule.

Le chambellan de Lehne passait pour être en beaucoup de choses le confident de Son Altesse. C’était un brave homme, doux, obligeant, parfaitement honnête, et la preuve en était qu’il n’avait aucune fortune. Sa femme, une bonne dame excessivement longue et maigre, ornée d’un nez rouge proéminent, lui avait donné onze enfants, et, pour lui, il était le modèle des époux, et on n’avait jamais eu à le suspecter du moindre égarement ; mais il aimait ceux des autres ; il mettait de la passion à montrer au premier venu la mauvaise route, et pour peu qu’on l’en priât et même de son propre mouvement, il servait de guide dans les sentiers réprouvés, de telle sorte qu’avec lui il n’était plus moyen d’en sortir. Cette singulière disposition naturelle ne lui ôtait rien de sa gravité solennelle, du sourire dignement bienveillant, de l’air compassé qui impressionnaient tout le monde, et lui auraient valu plus de considération s’il n’avait été trop public qu’en dehors de ses aptitudes spéciales il était parfaitement nul.

Aussitôt que le chambellan eut achevé le salut par lequel il termina son court compliment à madame Tonska, il tourna sur lui-même, étendit le bras vers un plateau chargé de glaces que présentait un domestique, et tout en faisant jouer la cuillère de vermeil dans le rose et le blanc, il gagna la galerie ; arrivé là, il posa discrètement la soucoupe sur une console et s’esquiva par la petite porte.

Voulez-vous savoir ce que je fis ? Eh bien ! je le suivis !