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mât pas les Lanze, ou un Lanze qui ne se crût pas principalement créé et mis au monde pour idolâtrer les Wœrbeck, c’est ce qui ne s’est jamais rencontré ; et voilà pourquoi mon père restait tous les jours au moins une heure chez le prince, après l’avoir accompagné dans ses voyages, après s’être assis sur les mêmes bancs, pendant leurs années d’université, qui avaient succédé à une enfance où mon père et mon oncle avaient eu l’honneur de se battre, tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre des jeunes rejetons de la maison souveraine.

Je répondis donc au professeur Lanze :

— Cette affaire est facile à comprendre, et j’aurais cru que le prince vous avait dès longtemps tout confié. Il aime la comtesse et il en est aimé, du moins à ce que je suppose. Pour moi, j’admire fort cette dame comme maîtresse de maison, comme femme d’infiniment d’esprit et de savoir ; autour d’elle et par elle on s’amuse beaucoup. Elle m’a donné une soirée délicieuse où je l’ai entendue chanter des choses ravissantes. Elle m’a montré des camées antiques de la plus rare perfection. Mais, en tant que femme, je ne partage aucunement le goût du prince, et elle ne me plaît pas. Ses hauteurs, ses humilités, son exaltation dont je suspecte la sincérité, tout en elle me repousse ; assurément je n’irais pas le lui dire en face et lui déclarerais même, au besoin, tout le contraire, comme c’est mon strict devoir d’homme bien élevé ; mais, heureusement, il n’en est pas question, et je la crois absolument absorbée dans le sentiment que le prince a réussi à lui inspirer. D’après ce que vous racontez, il semblerait que Son Altesse a eu, à mon endroit, comme un frisson passager de jalousie ; c’est sans sujet ; d’ailleurs, je n’ai pas besoin de vous protester que ce n’est pas de moi qu’un souci justifié, de