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— Votre main seulement !

Elle s’inclina vers moi, me tendit son front et je partis.

— Qui est-ce qui, de nous deux, n’a pas d’amour ? me demandai-je en route.

Le lendemain matin, au moment où j’achevais de m’habiller, ma mère m’ayant apporté une tasse de café au lait, comme elle en avait l’habitude chaque jour, me dit :

— Conrad, ton père veut te parler avant que tu ne sortes. Ne manque pas d’aller dans son cabinet.

Je trouvai mon père enveloppé dans sa robe de chambre de flanelle, fumant une grande pipe d’écume et lisant un livre de sa profession. Le docteur Lanze est non-seulement un médecin par métier, il l’est encore, et surtout, par passion. En m’apercevant, il leva les yeux, me sourit et posa son livre sur le coin de la table.

— Assieds-toi, Conrad. Il faut que nous causions un peu. Tu vois beaucoup madame la comtesse Tonska ?

Je me mis à rire :

— Mon Dieu, oui ! Je suis resté un mois sans aller chez elle et je viens justement d’y dîner hier. Est-ce que vous croyez utile de me donner quelque avertissement à son sujet ?

— Je n’en sais trop rien. Je voulais seulement te prévenir qu’hier au soir, après être resté une heure ou deux avec le prince et avoir parlé de choses et d’autres, suivant notre habitude de tous les jours, Son Altesse m’a dit en propres termes : Lanze, tu es bien savant, mais tu me fais l’effet d’ignorer que les très-belles dames sont de mauvaises conseillères pour les jeunes gens. Rappelle cela à Conrad de ma part. Ce propos, comme tu peux le penser, me fit tomber des nues ! Je répondis : Altesse, est-ce que mon fils se dérangerait ? Mais le prince