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Je ris également :

— Chère comtesse, ne cherchez pas, je vous en prie ! Prévot n’est déjà qu’un trop grand génie en cuisine pour mon petit savoir.

— Enfin, puisque vous ne me servez à rien ni l’un ni l’autre, tu lui diras de nous donner de ce vin qu’il a reçu l’autre jour de je ne sais où. Va, ma fille !

Elle me montra une quantité de choses ; des bijoux curieux, des armes qui appartenaient au comte Tonski, des armes magnifiques ! Elle alla chercher elle-même une collection de camées d’une singulière beauté, qui lui venaient de sa grand’mère. En considérant chaque objet, nous nous perdions dans des conversations qui n’avaient pas de fin et atteignaient à tous les sujets à la fois. Je n’avais jamais si bien observé à quel point son esprit était subtil et aiguisé. Elle comprenait tous les menus détails d’une idée avec la plus rare perfection, et ses yeux semblaient aller au-devant de ce qu’on lui montrait. En beaucoup d’affaires, elle en savait plus long que moi et je ne me lassais pas de l’entendre. Je ne sais par quels détours, nos propos sur un onyx représentant une tête de Cléopâtre nous amenèrent à parler des femmes slaves, en général ; c’est, du reste, un point de discussion assez recherché par les intéressées.

— Je ne voudrais pour rien au monde, me dit la comtesse en rejetant sa tête en arrière sur le dossier de la causeuse, tandis que les pierres précieuses restaient étalées devant nous, je ne voudrais pour rien au monde me faire accuser d’une partialité exagérée ; mais, croyez-moi, les femmes slaves n’ont pas de rivales en ce monde, ni pour le cœur, qui passe avant tout, ni pour l’intelligence et tout ce qui s’ensuit ; nous savons le mieux aimer, parce que nous savons nous soumettre, et notre dévouement,