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j’avais une intention furieuse de le lui refuser. En somme, et pour tout dire, elle m’était antipathique.

Je finis par rencontrer sa voiture, un jour que je traversais la promenade. Elle fit arrêter. Il était impossible de ne pas aller la saluer.

— Vous me fuyez ? Vous avez raison ! me dit-elle. J’ai été insupportable avec vous. Les gens du monde ont de la peine à comprendre que les artistes ne sont pas désœuvrés comme eux, et leur habitude de tout prendre à titre de distraction les rend aveugles sur les mille délicatesses dont, vous autres, vous êtes doués. Enfin, j’ai eu tort, que puis-je confesser davantage ? Ne me pardonnerez-vous pas ?

Je me trouvai ridicule et me jetai dans mille protestations pour lui persuader que c’étaient seulement des affaires, des embarras de famille, un voyage, qui m’avaient empêché d’aller chez elle depuis si longtemps.

— Voilà bien des mensonges, dit-elle en m’interrompant. Vous étiez fâché et vous en aviez sujet.

Je protestai de nouveau.

— Alors, vous ne m’en voulez plus ?

— Oh ! comtesse !

— Donnez-m’en une preuve !

— Tout de suite. Laquelle ?

— Montez et venez causer un instant, de bonne amitié, avec moi. Puis vous resterez à dîner. Est-ce bien ainsi ?

Elle avait un accent presque suppliant et si affectueux, si amical, que l’idée de me dérober encore ne me parut plus admissible. Le valet de pied ouvrit la portière et nous rentrâmes à l’hôtel.

Je n’oublierai jamais, non, quelle que soit l’amertume dont