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tesse m’écrivit un matin de lui apporter, dans la journée même, des dessins qu’elle voulait montrer à une de ses amies. Je répondis de la façon la plus polie, mais la plus péremptoire, que j’étais retenu par mes occupations et que ce qu’elle demandait était impossible.

Deux jours après, elle m’écrivit de nouveau pour que j’eusse à l’accompagner à un château voisin ; elle avait l’intention de l’acheter. Je refusai encore en ajoutant cette fois qu’aucune de mes journées n’était libre. Une troisième tentative plus difficile à repousser eut lieu la semaine suivante. La comtesse m’annonça un soir son intention d’aller chez moi, le lendemain, pour voir l’Anna Boleyn.

— Excusez-moi, comtesse, lui répondis-je. Il y a encore trop de choses à faire au marbre.

— Mais, s’écria-t-elle avec humeur, vous l’avez bien laissé voir, ce matin même, au lieutenant de Schorn.

— C’est que Schorn est mon ami particulier et je n’entends pas montrer mon œuvre à personne autre, jusqu’à ce qu’elle soit absolument terminée.

— C’est un caprice assez désobligeant.

— Soit, répliquai-je d’un ton sec.

La comtesse me regarda d’un air tellement insolent que je me promis de ne plus remettre les pieds chez elle, et, en effet, je n’y reparus pas pendant un mois. Je trouvai mes soirées un peu plus longues, je fis des remarques un peu plus sévères sur les maisons où je retournai, je regrettai quatre ou cinq personnes de l’intimité à laquelle je renonçais ; mais, en somme, j’étais enchanté de cette rupture. La comtesse était fort belle assurément, mais d’une beauté dominatrice qui ne me plaisait pas. Puis, elle m’obsédait ! Je n’avais d’autre imagination que de lui résister, même quand elle ne voulait rien, et ce que j’eusse cédé de bon cœur à toute autre,