Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand il vous plaira, tous les soirs, j’ai constamment du monde.

Je m’inclinai.

— Mais, madame la comtesse, cela ne m’apprend pas ce que vous avez à m’ordonner.

— Comment, cela ne vous l’apprend pas ? Mais il me semble que vous le savez depuis que vous êtes ici. Regardez quels gens vous entourent ; croyez-vous que je fais au premier venu l’honneur de l’admettre en un pareil cercle ?

Elle prononça ces mots assez fièrement ; elle avait une expression admirable et ressemblait plus à une victoire qu’à une muse.

— Je suis bien petit pour ces grandeurs, répondis-je avec une humilité qui n’était pas feinte.

— Si vous le pensez réellement, me repartit vivement la comtesse, vous n’en êtes que plus digne d’estime. Allez ! J’ai entendu parler de vous, je vous connais ; j’ai vu vos œuvres, et cette maison est la vôtre.

Là-dessus, je remerciai et je sortis. Il était clair que je ne pouvais que beaucoup gagner à vivre dans un pareil milieu. Toutefois la façon, à mon gré cavalière, dont madame Tonska en avait usé à mon égard me déplaisait souverainement. Je n’acceptais pas cette autorité hautaine qu’elle s’arrogeait sur moi tout à coup, et je résolus de le lui faire sentir à la première rencontre, dût-elle s’en fâcher. J’y pourrais perdre ; j’y perdrais probablement des soirées comme celle qui venait d’avoir lieu et qui m’avait fortement impressionné ; mais j’y gagnerais le maintien de mon indépendance et la liberté de mes allures ; rien ne vaut un pareil bien. L’occasion se présenta bientôt de repousser l’envahissement dont je me voyais l’objet. Une semaine environ après ma première présentation, la com-