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CHAPITRE CINQUIÈME

HISTOIRE DU SECOND CALENDER FILS DE ROI

Me considérer moi-même ! Me connaître ! Démêler et juger ce qui se passe depuis deux mois dans mon triste individu ! Le pourrai-je ? Je l’ai essayé vingt fois, et vingt fois j’ai échoué devant la violence de ma souffrance. Je n’ai, non plus, pour me guider qu’une raison malade dont la flamme vacille et n’éclaire pas.

Cependant j’essayerai. Je suis loin de cette femme. Je ne sens plus aussi fort la corde tendue qui me tire vers elle.

C’était un samedi soir vers sept heures, au mois de mai. Mon humeur était fort calme. J’avais travaillé tout le jour et résolu quelques difficultés dont, le matin, je n’étais pas maître. Je m’occupais alors de ce buste d’Anna Boleyn acheté, depuis, par le ministre de Russie. J’entrai dans la boutique du bijoutier Neumeyer ; c’est là que se trouvent d’ordinaire les joailleries les plus achevées de Burbach. Le jour de naissance de ma sœur Liliane approchait ; j’avais l’intention de lui donner une bague, un bracelet, un collier, ce qu’enfin je trouverais de plus convenable à une fille de dix-sept ans.

Il y avait quelques personnes arrivées avant moi. Elles semblaient se faire montrer différents objets, parlaient et riaient. Je n’y pris pas garde et, m’adressant à un commis du magasin, je lui expliquai mes intentions.