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tence la lumière principale ; Harriet m’a rassuré pour tout ; elle m’a donné de la confiance pour tout. Je sais que je ne contemplerai jamais une autre Harriet ; mais j’en verrai des copies plus ou moins approchantes et je trouve des Coxe et des Georges. Je ne veux pas me faire meilleur que je ne le suis ; ce n’est pas tout d’abord que j’ai compris la grandeur de celle qui m’abandonnait. J’ai traversé les phases ordinaires en pareille aventure. Je me suis cru trahi, j’ai soupçonné de la coquetterie, de la perfidie, de la fausseté ; ces crises nerveuses ont heureusement peu duré ; elles sont parties pour ne plus revenir.

Néanmoins, je restai longtemps soucieux. Harriet me conseillait, dans ses lettres, de m’attacher à une occupation suivie et elle me proposa même plusieurs partis à prendre. Jusqu’à présent, je ne me suis pas décidé. Certes, quelque infatué que je fusse des mérites de l’Angleterre, je ne m’attendais pas précisément à saluer, en descendant du paquebot, Richard Cœur-de-Lion donnant le bras à lord Cecil ; pourtant, j’étais moins préparé encore à contempler les décrépitudes dont je découvris au bout de quelque temps les traces répugnantes. J’avais rêvé la vie politique ; l’aspect des choses me repoussa. Je ne suis pas d’un âge à avoir pris un parti définitif ; pourtant, je me sens peu entraîné : il faudra du temps pour me résoudre ; en attendant, je voyage. J’étais l’année dernière à la Plata, j’arrive maintenant du Mexique ; je visite le nord de l’Italie avec vous, et, avec vous, j’irai saluer mon auguste parent en Allemagne. Harriet me presse de me marier. La vérité est que j’ai failli devenir amoureux de ma cousine, l’honorable lady Gwendoline Nore ; mais elle a une façon de chanter du nez qui m’est insupportable. Au point de vue des passions courantes, je suis cependant fort en règle ; l’année dernière, à Bade, on eût pu me voir, quatre