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sous huit jours avec le courrier du Résident. Vous quitter ! mille fois mieux mourir ! Lord Wildenham veut me voir ! Je vous ai dit qu’il habite notre manoir de famille… Que faut-il répondre ? Voulez-vous partir avec moi ? Si vous m’aimez, Harriet, tout est facile et la douleur qui m’accable devient le comble de la félicité ! Partir, mais avec vous, de ce monde de sauvages, c’est passer des ténèbres dans la lumière.

Je crois que je fus éloquent ; cependant Harriet resta inébranlable et opposa à ma fougue un secouement de tête patient mais résolu ; quand je m’emportais trop, elle me regardait avec le plus doux et le plus affectueux des sourires, et levait un doigt en l’air. Alors, ma fureur tombait et je balbutiais au lieu de commander.

— Non, Wilfrid, non, dit-elle, vos discours ne sont pas raisonnables. Vous continuerez, vous me l’avez promis ! à ne parler de nous à personne ! Ce qui sera, sera ; il n’est besoin, à cet effet, d’aucune déclaration emphatique et précipitée. D’ailleurs, vous m’avez juré de vous taire, et si Wilfrid me trompe, en qui puis-je croire ? Puis vous partirez… Vous partirez dans huit jours !… Ne m’interrompez pas !… Comment ! cette Angleterre que vous chérissez tant, votre pays, celui de vos braves aïeux, cette terre que vous appelez depuis que vous êtes au monde !… vous ne voulez plus rien faire pour elle ?… être rien pour elle ?… Vous l’oubliez ?… Mais nous deux, dites-vous ? Attendre vous est-il impossible ? et si je ne veux d’engagement avoué qu’avec un Wilfrid digne de son nom, digne de lui-même, digne de moi, qu’avez-vous à répondre ?

Moitié supplications, moitié commandements, l’autorité qu’elle exerçait sur moi obtint tout. Elle me connaissait si bien ! Elle faisait jouer mes opinions, mes sentiments comme les touches d’un clavier et mon être entier agis-