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tions infinies dans lesquelles je me plongeais et l’entraînais avec les supplications les plus véhémentes, elle avait coutume de répondre :

— Je vous soumets à une épreuve ; si vous n’êtes pas capable de la supporter, ma confiance en vous est folie, elle s’évanouit et je renonce à vos promesses.

Alors je me taisais. Le régime des épreuves, des gages, des victoires remportées sur soi-même me paraissant le comble de la morale chevaleresque, je n’avais absolument rien à opposer aux prétentions d’Harriet. Mais cette existence merveilleuse ne pouvait pas durer éternellement.

Mon père me fit appeler un matin et me donna l’ordre de partir sous huit jours pour l’Angleterre où lord Wildenham, me dit-il, ce misérable ! voulait me voir.

— Les liens de famille, mon garçon, me dit le colonel, sont des choses sacrées ! On peut se détester réciproquement ; il n’en est pas moins vrai qu’on a le même sang et cela ne saurait s’oublier.

Mes idées tombèrent dans un trouble, dans une confusion que vous concevrez aisément. J’étais saisi de désespoir, et, en même temps, exalté par l’appel de vingt trompettes triomphales qui me sonnaient aux oreilles, des fanfares de courage excité, de curiosité poignante, de promesses admirables. J’allais voir l’Angleterre, si j’y consentais ; mais c’était consentir à me séparer d’Harriet ! Je fais tous les amants du monde juges de ma situation.

Je courus d’un trait auprès de ma conseillère, de mon idole ! Je tombai sur une chaise, j’étais pâle, pantelant, hors de moi. Je saisis sa main !

— Ah ! mon Dieu ! qu’avez-vous, Wilfrid ?

— Mon père m’envoie à Londres !… Il veut que je parte