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s’appuya sur le dos du fauteuil et le livre tomba à terre.

Je ne le ramassai pas. Nous restâmes silencieux un grand moment. Puis, je me hasardai à la regarder. Je rencontrai ses yeux qui se fixèrent aux miens. Une larme y roulait, se détacha et descendit sur sa joue. Je voulus lui prendre la main ; elle la retira, mais sans vivacité. Je n’osai faire plus.

— À quoi bon ? me dit-elle.

— À être heureux !

Elle sourit avec une certaine amertume et ne me répondit rien. J’ajoutai alors :

— Voulez-vous ?

Elle me considéra encore, et très-attentivement, puis elle parut réfléchir ; enfin, elle mit sa main sur la mienne en me faisant signe des yeux de ne point parler. Si mon cœur battait, vous le pouvez croire ! Tout mon être, toute ma vie m’abandonnaient pour se presser vers elle !

Après quelque temps, elle me demanda :

— M’obéirez-vous ?

— Jusqu’à la mort, et sans reculer jamais !

Elle sourit faiblement, et une certaine teinte rosée se répandit sur son visage. Elle était toute expression, toute pensée, elle était sublime !

— Eh bien ! voilà ce que je vous demande : Vous ne parlerez à personne de notre engagement ; ni à votre père ni au mien, ni à Georges, à personne, entendez-vous ?

— Pourquoi ? Nous finirons pourtant par le déclarer ?

— Quand le moment sera venu ; moi seule j’en déciderai ; voulez-vous ?

Je n’étais pas content ; j’aurais désiré aller crier par