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Il accepta donc avec une gratitude exaltée l’emploi qui lui était offert, attendri jusqu’aux larmes par la sollicitude de la Providence, indulgente au point de ne l’envoyer chercher son pain qu’au bout du monde, quand il lui aurait été si facile de le laisser aller au diable, et il partit. C’est ainsi que, sans l’avoir jamais ni prévu ni voulu, il devint distributeur de Bibles ; et j’ai remarqué, depuis lors, combien c’est un effet ordinaire de notre grande civilisation, et je dirai même un de ses effets les plus constants, que de secouer si bien les hommes dans le sac de la nécessité, comme des numéros de loterie dans le leur, qu’ils vont, le plus généralement, tomber la tête la première sur des professions où leur instinct ne les eût portés en aucune sorte. De là des prêtres qui sont des furibonds, des guerriers qui feraient mieux de paître les brebis, des poëtes inspirés comme des mécaniciens, etc.

Les gens malheureux deviennent ridicules ; c’est, à peu près, ce que voulait dire Plutarque, en affirmant que les plus grandes âmes perdaient de leur magnanimité dans l’esclavage. Coxe était donc un peu ridicule ; mais il avait du sens, un savoir étendu, de la fermeté, de l’honneur, et je n’ai plus à parler de sa bonté. Il remplit très-bien les fonctions dont il était chargé. Les sociétés bibliques ont établi leur système sur cette notion que nul ne saurait lire l’Ancien et surtout le Nouveau Testaments sans en être charmé, quelque soit, d’ailleurs, le milieu intellectuel dans lequel le lecteur a vécu, jusqu’au moment où le volume divin tombe entre ses doigts blancs, jaunes, rouges ou noirs. Par conséquent, il importe de répandre le livre dans un nombre d’exemplaires aussi grand que possible ; Dieu fera le reste. Par un raffinement de précaution, dernier terme où la sagesse humaine reconnaît devoir s’arrêter, on traduit l’ouvrage à peu près dans la