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me serais assis à terre pour un mot ! J’aurais crié, j’aurais pleuré, j’aurais ri, j’aurais fait toutes les extravagances imaginables pour peu qu’on m’en eût prié. Je me débarrassai le plus promptement possible, et sous le plus mauvais prétexte venu, de mon meilleur ami, dont la présence m’était insupportable, et j’allai m’enfermer dans ma chambre.

— Qu’est-ce que ceci ? me dis-je.

Je tombai dans une profonde mélancolie. La nuit arriva, et je ne dormis guère ; mais je sentis, pour la première fois, la puissance de ces rêveries nocturnes par lesquelles tout, jusqu’à nos propres sentiments, se transforme au gré de la plus malsaine exaltation. J’attendais le jour, je m’en souviens, avec une ardeur extrême, persuadé que, dès l’aurore, j’allais être libre de me précipiter chez le Révérend Coxe et de contempler sa fille, qui comprendrait à merveille, ainsi que son père, l’opportunité de cette visite matinale.

Heureusement, ces sortes de folies sont guéries par les premiers rayons du soleil. Je me calmai quand je les vis paraître, et j’attendis, non pas sans piétinements intérieurs, mais enfin j’attendis sagement que Georges vînt me chercher pour faire une visite régulière.

Nous trouvâmes le missionnaire occupé à s’établir dans sa nouvelle demeure. Le marteau à la main, il enfonçait des clous pour suspendre des cadres à la muraille. Par moments, transformant son instrument de travail en bâton de commandement, il indiquait du geste les différentes parties de la maison où il convenait de placer une armoire, une table, des châssis. Absorbé dans sa tête, il nous accorda peu de minutes ; Georges se consacra à lui donner de l’aide, et moi, je m’attachai aux pas de miss Harriet et lui servis de second dans le classement du