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fant, deux enfants, trois enfants sortaient à une époque déterminée, et il n’en était pas autrement question. Je voyais bien, par les poésies du pays, qu’il était naturel et aimable d’adresser aux belles personnes une demande à laquelle on attachait, dans le moment, beaucoup d’importance. Mais je voyais aussi que les gens sérieux, de sens rassis, qui ne buvaient pas de vin, qui ne fréquentaient pas la société des danseuses, traitaient ces sortes d’affaires tantôt avec une raillerie méprisante, tantôt avec des éclats de colère dont les livres saints de toutes les sectes donnaient également le ton. Quoi de plus éloigné de l’amour ? J’avais lu jusqu’alors, je viens de le dire, beaucoup de romans ; j’en dévorai davantage en y cherchant toute autre chose que par le passé ; la passion de la poésie me prit à la gorge presque en même temps ; je ne me bornai pas à pâlir nuit et jour sur Byron et sur Wordsworth ; je me sentis forcé de reproduire, sous la conduite du rhythme et de la rime, mes impressions personnelles qui me parurent n’avoir absolument rien de commun avec ce que l’humanité la plus raffinée avait senti jusque-là, et, fort de la conviction de mon originalité absolue sous ce rapport, ne doutant pas d’avoir découvert de nouvelles sources de sensibilité, j’osai me persuader dans mes vers que, non-seulement je connaissais une certaine Sylvia dont les perfections anglaises étaient indescriptibles, mais encore que je l’aimais avec toutes les délicatesses dont moi seul étais capable, et, je le confesse en rougissant, que j’en étais, à la lettre, idolâtre ! Si quelque chose peut être allégué pour mon excuse, c’est que, sans cette dernière fiction, je n’aurais absolument pas pu décrire les délices ineffables dont je savais, de science certaine, qu’une âme d’élite est inondée par les aveux mutuels d’un amour vertueux.