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nous couvrons l’Italie de nos invasions annuelles. Nous sommes les gens les plus passionnés du monde et les plus foncièrement esclaves de notre premier mouvement. On le voit assez à notre histoire, pandémonium de violences et de crimes absurdes toujours commis sans réflexion. Notre respect pour la loi ne nous a jamais empêchés d’être le pays le plus insurrectionnel, je ne dis pas le plus révolutionnaire, que le soleil éclaire ; notre amour de la famille se manifeste par l’invention des clubs où nous passons notre vie, et, bref, il y a plus d’écarts de fantaisie individuelle dans notre conduite privée et publique que chez aucune autre nation du monde. Quant à être ridicules, cette opinion prouve simplement que nous sommes faits autrement que vous et ne mérite pas la discussion.

Je fus élevé au milieu des domestiques indiens et portugais, des cipayes, des marchands arabes et persans, de toute cette population musulmane, juive, chrétienne, bariolée de tant de peaux différentes et de costumes hétéroclites, qui peuple l’ancienne capitale de Haroun-Al-Raschid. Aussitôt que je fus capable de réfléchir et de comparer, je pris ce monde en mépris et rien, assurément, n’était plus naturel, puisque je voyais chaque jour, dans les grandes comme dans les petites affaires, la distance qui séparait le résident, et même le moindre lieutenant anglais, du plus fastueux des dignitaires indigènes. Quoi ! le pacha lui-même, le chef de la province, n’avait qu’à dire amen quand, de notre maison, partait une injonction quelconque ! Cette première éducation, je l’avoue, ne m’a pas donné une haute idée de la valeur intrinsèque du dogme de l’égalité ; mais elle m’inspira, pour l’Angleterre et pour ce qui était anglais, un amour, un culte, une vénération, un attachement !… Je ne sais trop comment définir, d’une manière tant soit peu suffisante, la ferveur