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afin de les châtier plus sensiblement de leur manie inopportune de dissimulation, nous leur ferons déclarer, à l’un et à l’autre, non pas ce qu’ils ont avoué, mais ce qu’ils sentaient et savaient d’eux-mêmes au moment où ils ont parlé. C’est ainsi que, dans un conte du dernier siècle, appelé le Palais de la Vérité, les visiteurs de ce malencontreux monument ne pouvaient rien garder sur leur langue. Tout partait ; les malheureux se compromettaient à cœur-joie. Seulement, ici, le lecteur seul verra à la fois les deux côtés de l’étoffe : dans l’auberge de l’Isola Bella, les auditeurs n’ont entendu ni su que ce que le narrateur a bien voulu leur confier.

Ainsi donc, Wilfrid Nore dit et pensa ceci :

Je suis né à Bagdad, où mon père avait été envoyé pour les affaires de la Compagnie des Indes et où il résida longtemps. Je vous parlerai peu de lui ; mais encore faut-il que vous en sachiez quelque chose. Frère cadet de lord Wildenham, il était entré jeune au service militaire de cette association de marchands que les Hindous prenaient pour une vieille dame, dont ils admiraient la prodigieuse longévité ; ils demandaient volontiers de ses nouvelles, quand l’occasion s’en offrait. Mon père devint lieutenant-colonel, réalisa une belle fortune et gagna une maladie de foie qui lui gâta le caractère. Ma pauvre mère, morte jeune et deux ou trois ans après ma naissance, en avait éprouvé, je crois, quelque chose. Cependant je ne saurais dire que, pour ma part, j’ai eu trop à m’en plaindre ; car, par une rencontre rare dans les familles anglaises de quelque considération, je n’ai jamais été brouillé avec l’auteur de mes jours, comme lui-même l’avait été avec mon grand-père et continua à l’être avec son frère aîné, au moyen d’une suite non interrompue de mauvais procédés qui, se poursuivant des deux parts avec la plus