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fatale, je le suivrai docilement à Burbach. Ne vous étonnez pas autrement de ma résolution ; le prince est mon cousin issu de germain, et je lui ferai volontiers une visite.

Cette révélation fit sourire les deux auditeurs, et Wilfrid Nore continua :

— Vous êtes certainement flattés l’un et l’autre d’avoir rencontré pour ami sur le lac Majeur un personnage de mon importance. Convenez qu’il y a même quelque chose d’assez mystérieux dans ma tournure. Comment un Anglais, voyageant sans la moindre escorte et qui ne paraît pas d’ailleurs avoir beaucoup plus de suite dans les idées que dans sont train de maison, ne possédant à la face du soleil qu’une valise assez mesquine, de dimensions exiguës et sur le coin de laquelle on lit encore à moitié déchiré le papier blanc portant le mot maldonado, ce qui prouve qu’elle arrive du Mexique, comment cet Anglais peut-il être le cousin issu de germain du puissant Jean-Théodore, prince régnant de Wœrbeck-Burbach ? Avouez qu’il y a là de quoi tenir toute imagination qui sait son métier, la bouche ouverte, un pied en l’air et le bras tendu comme pour attraper des mouches.

— Eh bien ! qu’est-ce que cela signifie, s’écria Laudon, sinon que nous avançons naturellement vers le point où il nous faut aboutir de nécessité certaine ? Pouvons-nous, où nous voilà, garder nos masques ? N’est-il pas indispensable que nous nous connaissions davantage ? Enfin, pour tout dire, ne sommes-nous pas à ce moment où nous ne pouvons ignorer une minute de plus pourquoi et comment nous sommes, vous, moi, lui, Calenders, fils de roi et borgnes de l’œil droit ?

— Rien de plus juste ! repartit le gentilhomme anglais d’un ton tranchant.