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avait un avis ; elle aussi, elle observait et, sans qu’elle s’en rendît bien compte, son observation devenait chaque jour plus intéressée et dominait davantage ses pensées.

Les deux étrangers étaient pour elle des apparitions uniques. Elle considérait leur rang dans le monde ; elle les voyait estimés de son père ; elle les entendait parler et constatait qu’ils soutenaient bien l’assaut de ce colosse d’érudition ; l’un, Nore, de pied ferme et armé comme un troplite argien, de la lance, de la cuirasse et du bouclier ; l’autre, Laudon, à la légère, lançant de çà et là des traits peu assurés, mais qui brillaient fort et ne laissaient pas quelquefois que de rencontrer juste. Puis, elle n’ignorait pas que le prince et le duc Guillaume partageaient les préventions du professeur en faveur de ces personnages exotiques. Ils passaient une partie de leur temps auprès de la jeune comtesse Pamina, c’était un point qui la faisait réfléchir ; pour tout au monde elle eût voulu savoir ce qu’Aurore pensait d’eux, mais il n’y avait guère moyen de s’en assurer ; ce qu’elle pouvait faire, c’était de se perdre à cet égard en commentaires infinis avec la princesse Amélie-Auguste, et de ces commentaires il résultait de plus en plus pour les deux jeunes filles cette conviction que le prince, d’accord avec son oncle, avait fait venir Nore et Laudon, et que l’un des deux allait être d’un jour à l’autre fiancé à Aurore. Le fait était devenu indubitable. Seulement, il s’agissait de savoir lequel serait choisi.

Ici, la princesse Amélie-Auguste prononçait avec un dédain sévère qu’il lui importait peu d’en apprendre davantage ; que de pareilles unions, n’étant pas de celles qui dérivent des sentiments les plus élevés du cœur, ne sont pas bénies de Dieu, et qu’il n’y a qu’à plaindre et à mépriser ceux qui les contractent. Elle déclarait Nore un