Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/29

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

discerner ; je ne lui reconnais pas d’âme, et ce n’est pas sa faute quand on ne la contient pas. Et non plus pas de sévérités outrées contre les drôles ! Je ne vous assure pas qu’ils soient le sel de la terre, mais ils en sont la saumure. On en peut, à la rigueur, faire façon, et en pendant quelques-uns d’entre eux de temps à autre, le reste se peut employer, sinon dans les voies honnêtes, du moins dans les voies utiles. D’ailleurs, il faut en convenir, sans trop se faire prier, la planète les produit naturellement ! Le monde, quoi qu’il fît, ne parviendrait pas à s’en défaire, ni peut-être à s’en passer.

Quant aux imbéciles, je serais impitoyable. Ce sont les vaniteux et sanglants auteurs, les moteurs uniques et détestables de la décrépitude universelle, et la pluie de mes carreaux de feu labourerait sans pitié ces crânes pervertis. Non, une telle bande ne mérite pas de vivre ; non, cette vermine coassante ne peut exister et laisser le monde vivre ordonné à côté d’elle. Les époques grandioses et florissantes furent celles où de pareils reptiles ne rampaient pas sur les marches du pouvoir.

Un silence prolongé suivit cette déclaration. Les trois amis s’abandonnaient aux impressions de leur entretien, du milieu qui les enveloppait, de la situation d’esprit créée par le voyage. Lanze reprit enfin :

— Vous avez raison, sans doute, Nore ; je ne saurais m’intéresser à la masse de ce qui s’appelle hommes. Je suppose que, dans le plan de la création, ces créatures ont une utilité, puisque je les y vois : elles nous gênent et nous les poussons. Mais je ne me figure et je ne vois rien de beau et de bon que sans elles. Le monde moral, enfin, est en tous points semblable à ce ciel étoilé dont s’arrondissent en ce moment les magnifiques profondeurs. Mon regard n’y découvre, n’y cherche, n’y veut voir que