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avant même qu’ils n’eussent eu l’honneur de lui être présentés, les nouveaux venus étaient goûtés par son auguste époux, et c’était suffisant pour qu’elle prononçât à jamais contre eux la plus absolue des condamnations.

La princesse Amélie-Auguste ne cédait pas au même courant d’idées ; mais elle avait ses prétentions, son système, son cadre de perfections ou d’imperfections, de défauts véniels, de défauts qui ne l’étaient pas. Elle ne découvrit pas sur le front de Nore, encore moins sur celui de Laudon, le signe de l’agneau ; peut-être même y aperçut-elle vaguement quelque chose qui lui fit l’effet de pouvoir être le sceau de la bête ; elle se garda d’approfondir et se plaça dans une situation de malveillance polie qui constitue ce que les gens très-jeunes prennent pour une prudence réserve.

Le prince Maurice eut franchement de l’antipathie pour Nore ; mais, trouvant Laudon élégant, il l’eût volontiers attiré dans ses conseils et consulté sur les matières délicates dont il faisait son unique étude ; Laudon, malheureusement, ne s’y prêta pas. Il trouva Maurice par trop inepte et ne fut pas amusé par son bavardage puéril ; en conséquence, on le prit en aversion, avec cet abandon, cette sincérité et cette plénitude de haine, que les dissemblances morales inspirent si facilement aux petits génies.

À l’aspect de si hauts exemples, la Cour, depuis le grand-maréchal jusqu’à l’aide de camp dernier nommé, en passant par tous les chambellans et gentilshommes de la Chambre, ne vit qu’avec une humeur difficilement réprimée, deux intrus aspirer à la faveur du souverain. Il y eut, à huis clos, dans les salons, dans les loges de service au théâtre, chez l’excellente madame de B…, chez le comte R… dont on est si sûr, vu sa discrétion éprou-