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tribu bariolée des imbéciles ! Ils mènent tout, portent les clés, ouvrent les portes, inventent les phrases, pleurent de s’être trompés, assurent qu’ils n’auraient jamais cru… Voici maintenant les drôles ! Ils sont partout, sur les flancs, sur le front, à la queue ; ils courent, s’agitent, s’émeuvent, et leur unique affaire est d’empêcher rien de s’arranger ni de s’arrêter avant qu’ils ne soient assis eux-mêmes. À quoi sert qu’ils soient assis ? À peine une de leurs bandes se déclare-t-elle repue, que des essaims affamés et pareils viennent, en courant, prendre la suite de son commerce.

Et maintenant voilà les brutes. Les imbéciles les ont déchaînées ; les drôles poussent leurs troupeaux innombrables. Vous me demandez ce que je fais de ce pandémonium, Laudon ? J’en fais ce qu’il est, l’hébétement, la destruction et la mort.

— Ceci revient à dire qu’en dehors de ces trois mille ou trois mille cinq cents élus, dont le nombre paraît encore trop considérable à Lanze, vous n’apercevez rien qui mérite de vivre ?

— Je ne perçois, en effet, qu’un monde d’insectes de différentes espèces et de tailles diverses, armés de scies, de pinces, de tarières et d’autres instruments de ruine, attachés à jeter à terre mœurs, droits, lois, coutumes, ce que j’ai respecté, ce que j’ai aimé ; un monde qui brûle les villes, abat les cathédrales, ne veut plus de livres, ni de musique, ni de tableaux, et substitue à tout la pomme de terre, le bœuf saignant et le vin bleu. Voudriez-vous épargner cette tourbe, si vous teniez entre les mains un moyen sûr de la détruire ? C’est votre affaire ! En ce qui me concerne, prêtez-moi pour un instant les foudres de Jupiter ; je n’anéantirai que ce qu’il faudra de la masse irresponsable des brutes. Elle n’est pas faite pour rien