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ne lui fut jamais possible même d’essayer, d’abord parce que l’auguste épouse ne se souciait pas du tout de voir son mari revenir à elle, ensuite parce que l’envie n’en dura jamais assez longtemps chez celui-ci. Après la rupture avec madame Tonska, et quand il fallut renoncer à cette liaison, Jean-Théodore se retrouva en face de lui-même.

Défauts et qualités compensés, il n’était pas très-innocent ; en revanche, il était très-malheureux. Il se jugeait, il se condamnait quelquefois ; pourtant, il lui fallait s’accepter et sa position en même temps. Cheminant dans le vide et s’efforçant de ne pas s’y agiter, de peur de devenir ridicule à ses propres yeux, il représentait assez bien ce qu’on pourrait appeler une âme sans corps.

Dans cet état d’esprit, il vit arriver à Burbach Nore et Laudon. L’automne était venu ; il se rappelait avoir invité le gentilhomme français à ses chasses ; pour son cousin, fils d’une de ses tantes, il n’avait jamais eu avec lui de relations antérieures. Quand donc les deux amis eurent envoyé leurs noms à l’aide de camp de service, et que celui-ci les eut placés sous les yeux de Son Altesse Royale, ce fut avec une complète indifférence, et uniquement pour se conformer aux usages, que Jean-Théodore donna l’ordre d’inviter les voyageurs à dîner pour le surlendemain.

Cependant Wilfrid et son compagnon, mettant à profit une lettre de Conrad pour son père, ne tardèrent pas à se présenter chez le professeur et y furent parfaitement accueillis. Madame la docteur prit d’abord en amitié les brillants amis de son fils ; Liliane fut portée vers eux par ce charmant instinct qui attire les femmes vers ceux qui peuvent les aimer. Aussi, la maison du savant physiologiste devint-elle bientôt le quartier général où les deux étrangers allaient, chaque jour, se recueillir et se retrouver.