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Il savait que, tôt ou tard, dans une occasion ou dans une autre, à la suite d’un remaniement européen ou d’une négociation inévitable, ses domaines iraient se fondre dans les territoires d’une grande monarchie voisine, et une telle conviction le dégoûtait des travaux et de la puissance souveraine. Puis, il ne devait pas laisser de fils. Au moyen d’une pacte de famille, il espérait réussir à faire passer la couronne sur la tête de sa fille et de son futur gendre ; mais il craignait les menées du prince Ernest et les ambitieux que ce méchant homme trouverait, sans doute, disposées à le seconder. Ainsi beaucoup de peines, peu d’avenir, pas de résultats. Son peuple devenait chaque jour moins maniable, et, précisément parce que ces gens-là étaient fort heureux, ils se montraient disposés à toutes sortes de séditions. Sa noblesse se disait dévouée ; mais elle accomplissait religieusement le programme de toutes les noblesses modernes ; elle se maintenait avec soin dans un état intellectuel et moral propre à rendre peu de services, et, par conséquent, Jean-Théodore ne comptait pas sur elle. L’eût-il fait, à quoi ? Il en revenait là par tous les chemins possibles.

Dans un autre ordre d’idées, sa femme lui pesait. C’était pour lui un grand malheur ; car, souvent, dans le cours de ses erreurs, et, le plus généralement, aux moments de désillusion, il aurait été disposé à revenir à elle, à se contenter de peu, à ne demander qu’une amitié muette mais bienveillante. Du moins, il croyait que ce lui serait assez. En cela, sans doute, il se trompait. Il était trop ardent pour se satisfaire à si bon marché, et, au bout de quelques mois, il aurait froissé toutes les négations formant le caractère de la princesse. Pourtant, il s’était cru de bonne foi disposé à la conversion. Il