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— Elle me renvoie, parce qu’elle aime ce jeune homme. Elle l’aime, c’est certain ! je suis sûr qu’elle l’aime ! Elle arrivait peut-être de chez lui ; elle lui avait peut-être donné rendez-vous ; j’en suis convaincu… elle l’aime… Elle est à lui !

Il fit un plan. Ce fut de la surveiller, de la suivre, d’entrer avec elle chez son rival, de les voir dans les bras l’un de l’autre ! Après ?… après ?… quoi ?…

— Elle peut faire ce qu’elle veut, se dit-il, elle ne me doit rien… elle ne m’a jamais trompé.

Il revint sous ses fenêtres. Une heure du matin sonnait à toutes les horloges. Il s’assit sur une borne et resta là, regardant. Un rayon de lumière passait à travers les volets de la chambre à coucher de Sophie.

— Il est là ! Elle l’a gardé !

Une sueur froide l’inondait. Il combina les possibilités, les vraisemblances.

— S’il n’est pas là, se dit-il, elle est chez lui. J’irai voir.

C’était assez loin. La pluie tombait à torrents. Il était épuisé de fatigue. Il y alla pourtant. Arrivé devant la maison, il n’aperçut de lumière nulle part.

— Ils auront tout éteint pour ne pas se trahir, pensa-t-il.

Quant à être assuré qu’elle était là, il l’était. Il les voyait, il lisait dans leurs yeux ; il entendait leur propos, et comptait leurs baisers.

Tout à coup, la porte de la maison s’ouvrit. Un homme et une femme sortirent, se donnant le bras.

— Les voilà ! pensa-t-il ! Les voilà ! J’ai bien fait de venir ! Je vais les tuer ! Je n’en ai peut-être pas le droit ; c’est égal, je les tuerai !

Il s’avança rapidement et se trouva en face de deux