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LIVRE TROISIÈME


CHAPITRE PREMIER

Le personnage auquel madame Tonska s’adressait dans sa lettre, datée de Saint-Gall, pouvait passer pour un original. Le nom de Casimir Bullet ne lui appartenait que parce qu’il l’avait pris, et il s’en était accommodé, parce qu’après l’avoir considéré longtemps, il l’avait trouvé ridicule. En réalité, il aurait dû porter le nom très-beau qu’il avait reçu de son père, et, au lieu d’habiter, dans un des faubourgs de Wilna, une petite maison en bois des plus exiguës, il n’eût tenu qu’à lui d’occuper un hôtel dans le faubourg Saint-Honoré ; il n’y songeait même pas.

Il avait ou n’avait pas reçu de la nature un esprit droit judicieux ; c’est un point difficile à décider ; en tout cas, il était certainement doué d’une puissance d’obstination singulière et pouvait plier sa personne morale à tout ce qu’il projetait ; il avait d’assez grandes lumières, ayant considérablement lu, surtout l’histoire, et, à force d’examiner les séries des faits humains, il s’était dégoûté de ce ceux qui les fabriquent. Quand une chose lui apparaissait sous un jour vrai ou faux, mais admirable pour lui, il avait ce pouvoir, cette vertu de ne pas dévier, pour quelque séduction que ce fût, des conclusions qu’il en tirait