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désormais dans le siècle ? Ce que je prétends de vous, c’est de m’aider à démêler quel genre de vie religieuse me peut convenir davantage. Dois-je consacrer les talents que le Ciel m’a donnés à répandre l’instruction, en entrant aux Ursulines ou dans tout autre ordre enseignant ? Croyez-vous que je ne servirai pas mieux les desseins de la Providence en allant soigner les malades parmi les dignes filles de Saint-Vincent ? Puissé-je finir sur le grabat de la fièvre jaune dans l’Amérique espagnole ou du choléra dans quelque contrée plus lointaine encore ! Il est un troisième parti que je pourrais prendre : la vie contemplative ! les austérités physiques et morales ! Je me suis égarée par l’abus de la volonté ; n’est-ce pas la preuve que ma vocation est d’ensevelir cette volonté sous la bure de la Carmélite ou de la Trappistine ?

Gennevilliers ne put songer sans frémir à ce que deviendrait cette charmante personne au milieu des renoncements redoutables dont elle évoquait si résolûment la triste image.

— Mais, madame, s’écria-t-il, pourquoi quitter le monde ? N’est-ce pas là, aujourd’hui, qu’il y a le plus de bien à faire ? Vous semblez un soldat qui, pour chercher des escarmouches, abandonnerait la bataille !

— Mon ami, dit la comtesse en appuyant ses doigts effilés sur la main de Henry ; je n’ai plus la force des grands combats, j’ai tout au plus celle de la souffrance !

Sur ces mots, elle parut s’affaisser ; Gennevilliers la soutint dans ses bras et appela Lucile à haute voix ; celle-ci arriva à moitié endormie et l’aida à porter la comtesse sur son lit. Sophie était sans connaissance. Pendant que la suivante lui faisait respirer des sels, Gennevilliers, hors de lui, courut réveiller sa femme.