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— Madame, répondit Gennevilliers, quand on s’analyse de la sorte, on a certainement un grand courage et une perspicacité égale ; mais on se fait mal à soi-même. Je ne veux pas rechercher si, par hasard, vous n’exagérez pas vos torts. Je suppose, pour vous plaire, qu’ils sont grands ; mais, puisque vous me faites l’honneur de votre confiance, à quoi voulez-vous aboutir ?

— À cette question même, répliqua la comtesse. Nous voilà sur le terrain. Je veux aboutir à laisser le passé pour ce qu’il est, après avoir reconnu que la responsabilité en pèse sur moi, et me consacrer à rechercher les moyens sérieux, non pas de réparer un mal irréparable, mais d’en faire naître des compensations. Quel parti dois-je prendre, suivant vous ? Au moment même où j’ai appris la mort du pauvre Boleslas, j’allais le rejoindre dans la résolution de ne plus le quitter. C’est tout vous dire : j’avais rompu avec mon existence ancienne, et je voulais devenir une femme nouvelle. Ce que je méditais ne m’est plus possible ; que puis-je mettre à sa place ?

Gennevilliers la contempla avec étonnement. Madame Tonska bouleversait ses idées. Il s’était accoutumé à la pensée qu’elle allait mourir le lendemain, ou du moins qu’elle ne passerait pas la semaine ; maintenant, elle lui demandait de régler son sort. Il fut, au fond, bien aise d’accueillir l’espérance qu’une créature aussi accomplie d’esprit, de cœur et de corps, ne fût pas perdue, et il répondit :

— La question est grave, et je suis peu propre à la discuter. Mais si je pénètre tant soit peu dans ce qui s’agite en vous, il me semble que la vie conventuelle vous attire.

La comtesse secoua la tête :

— Ce point-là est déjà décidé, répondit-elle ; que ferais-je