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CHAPITRE HUITIÈME

— Monsieur de Gennevilliers, les démérites les plus graves chez autrui ne nous paraissent tels que parce qu’ils proviennent de causes dont on ne se rend jamais assez compte. Si j’avais été à l’égard de mon pauvre mari celle que j’aurais dû être, je me serais moins scandalisée au début, j’aurais été plus indulgente, et bien des malheurs ne seraient pas arrivés. Le pauvre Boleslas n’était pas méchant. Il était faible ; il avait été beau, recherché, gâté. Il avait pris de fâcheuses habitudes. C’eût été mon rôle, celui d’une femme courageuse et aimante, de supporter quelques-uns de ses défauts ; j’aurais ainsi pu les contenir, et j’en aurais empêché d’autres de se développer chez lui.

Je n’ai rien fait de ce qu’il était au moins de mon devoir d’essayer. Le comte, entraîné dans la mauvaise compagnie, avait pris l’habitude de boire avec excès. La première fois qu’il m’apparut en cet état, il m’inspira de l’horreur ; je le lui témoignai avec emportement. Il m’aimait ; j’aurais dû me servir de ce sentiment pour l’attirer dans une vie plus régulière. Mais, non ! je l’humiliai ; je l’offensai. Je m’amusai méchamment à marcher à pieds joints sur son amour-propre. Il patienta quelque temps ; puis, ce qui était trop naturel, il s’éloigna de moi. Je le sens maintenant, je vous le répète, avec plus de douceur, en lui rendant tendresse pour tendresse, en lui prenant