Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/206

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il entra. Sophie était assise devant l’instrument ; dans sa robe blanche, tombant de toutes parts, à grands plis, elle avait l’air d’un spectre ; elle chantait et n’avait jamais eu tant de voix. Quand elle aperçut Gennevilliers, elle lui ordonna, à la lettre, elle lui ordonna pas un geste impérieux de ne pas l’interrompre, et, ce qui est admirable, c’est qu’Henry s’assit docilement. Elle acheva son morceau, puis se levant toute droite :

— Vous avez bien fait de venir ! Je vous attendais ! Je savais que Dieu vous enverrait à moi ! Je ne suis pas ce que vous croyez ! J’ai été bien malheureuse ; mais aussi j’ai été bien coupable ! J’ai beaucoup à expier ; il faut que je souffre beaucoup ! Écoutez-moi ! je vous en supplie, je vous en conjure par tout ce qu’il y a de plus sacré sur cette terre ; écoutez-moi, conseillez-moi, et je ferai exactement ce que vous m’aurez ordonné, parce que vous êtes un homme droit, pur, et que je ne veux pas d’autre juge que vous.

Gennevilliers se repentit d’être sorti de son lit ; mais, au fond, il était flatté d’être reconnu pour ce qu’il valait ; en même temps, il était curieux de savoir quels pouvaient avoir été les torts d’une aussi belle personne qui aimait tant son mari, et, en outre, comment dire non à une mourante ? De sorte qu’il resta, et la comtesse, appuyant son coude sur la table du piano, lui exposa ce qui suit.