Page:Gobineau - Les Pléiades, 1874.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Ce que je sais, c’est que c’est fort ennuyeux, soupira Gennevilliers, et il prit un journal. Dans ce moment, un domestique de l’hôtel entra et remit à Lucie un billet plié en triangle. Il n’y avait que ces mots :

« J’ai réussi à me faire porter sur le canapé. Si vous m’aimez un peu, amenez-moi votre mari. Vous le savez, je n’ai plus beaucoup de temps à moi. »

« Sophie T. »

— Pauvre femme ! murmura Lucie en essuyant ses yeux presque mouillés.

Gennevilliers, plus contrarié que jamais, était fort incertain.

— Qu’allons-nous faire ? dit-il à sa femme.

— Comment pouvez-vous hésiter ? répondit celle-ci.

— Eh bien ! allons, puisqu’il le faut !

La comtesse était couchée sur un canapé entre deux fenêtres ; elle avait fait relever sa merveilleuse chevelure ; elle était vêtue d’un long peignoir de mousseline blanche. Incontestablement, elle était de la plus rare beauté, et sa pâleur y ajoutait une expression vraiment surnaturelle. Gennevilliers, ahuri, se mit dans un fauteuil qu’elle lui montrait de la main, tandis qu’elle attirait Lucie sur la chaise placée près de sa tête.

— Vous avez pour femme un ange, monsieur de Gennevilliers, lui dit-elle. Vous l’aimez bien, n’est-ce pas ? Vous ne l’abandonnerez jamais ? Pardonnez à une mourante de vous parler de la sorte. On ne m’a pas aimée ; on m’a abandonnée, et vous voyez ce qui arrive.

Henry était extrêmement mal à son aise ; mais il trouvait la comtesse belle au delà de toute expression et se sentait jeté en dehors de ses habitudes.