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teur testamentaire et vous y trouverez ses dernières volontés. Elle vous prie instamment de ne pas lui laisser détacher du cou une petite chaîne d’or à laquelle est suspendu un médaillon contenant des cheveux de son mari. Impossible de la calmer, jusqu’à ce que je lui aie juré en votre nom une obéissance complète sur ce point. Alors ! elle m’a raconté des choses ! mais des choses ! Vous ne pouvez vous imaginer ce que c’est que madame Tonska ! Je ne crois pas qu’il existe au monde une créature plus angélique ! Vous le savez ! généralement je n’aime pas les étrangers et les étrangères encore moins ; mais, pour celle-ci, il ne se peut rien concevoir d’aussi bon, d’aussi tendre, d’aussi dévoué ! Elle est d’une piété céleste, et je vous avoue qu’elle me fait l’effet d’une sainte !

— C’est possible, répondit Gennevilliers d’un air contrarié, mais vous me mettez dans un grand embarras. Comment puis-je être exécuteur testamentaire d’une Polonaise ? Tout cela n’a pas le sens commun, et le moindre inconvénient que j’y voie, c’est de nous éterniser à Saint-Gall.

— Que voulez-vous ? je pense de même ; mais pouvais-je dire à une malheureuse créature, prête à expirer seule dans une auberge du coup mortel que vient de lui porter la mort de son mari, que vous ne voulez pas être le bon Samaritain ?

— C’est la mort de son mari qui la tue ? demanda Gennevilliers sans ombre de malice.

— Elle était fort malade déjà, repartit Lucie en haussant les épaules, mais ce coup l’achève. Les sujets de plainte ne lui avaient pas manqué ; mais elle m’a dit en pleurant qu’elle se rappelait seulement en lui les années de sa jeunesse. Vous savez que ces femmes-là sont très-romanesques.