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femme gardait un air concentré ; elle était visiblement affectée. Henry s’écria, aussitôt qu’ils se trouvèrent seuls :

— Au nom du ciel ! ma chère, dites-moi ce que vous avez ! Vous n’êtes pas dans votre état ordinaire.

— C’est que ce que je viens de voir et d’entendre n’est pas ordinaire non plus. Je suis arrivée chez madame Tonska. Sa femme de chambre m’a introduite. J’ai trouvé une personne pâle, les yeux étincelants, brûlée de fièvre, ses cheveux noirs, des cheveux admirables ! défaits et roulants de tous côtés autour de sa tête, donnant à ses traits quelque chose d’étrange. Tenez, Henry, je n’ai jamais rien contemplé de si beau de ma vie ! En m’apercevant, madame Tonska s’est soulevée avec peine sur ses oreillers et m’a dit de la voix la plus mélodieuse et la plus touchante du monde :

— Que vous êtes bonne !

Elle me tendait les mains, figurez-vous, Henry, mais avec un geste si doux, si charmant, si sympathique, que les larmes me vinrent aux yeux. M’apercevant qu’elle se fatiguait, je passai mon bras derrière sa tête pour la soutenir ; alors elle me saisit avec force et m’embrassa avec une sorte d’emportement en me disant :

— Vous êtes mon bon ange !

Je restai tout interdite ; car enfin, Henry, je la connais très-peu.

Elle me fit asseoir sur le bord de son lit, ce qui ne me plut pas beaucoup ; mais elle voulait m’avoir tout près d’elle, et alors elle me pria de l’écouter avec grande attention. Voilà en substance ce qu’elle m’a dit :

Elle va mourir, et elle n’a plus que peu de jours, peut-être quelques heures, à passer sur cette terre. Elle désire que vous fassiez mettre les scellés sur son appartement ; elle vous donnera un papier qui vous institue son exécu-