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irréconciliables ennemis du cabaret. Il ne croyait pas précisément ces choses-là crûment comme il faut les dire pour se faire comprendre. Il les espérait, il y travaillait, il y tendait ; c’est encore un mot moderne pour exprimer qu’on veut une chose sans la vouloir, parce qu’elle est impossible. D’ailleurs, en politique, je le répète, il eût aimé à tout concilier. Supposer de lui qu’il aspirait à un gouvernement fondé sur la force, c’eût été lui faire injure ; il ne voulait pas le moins du monde ce qui était hier ; à la vérité, il repoussait ce qui sera peut-être demain ; surtout, il proclamait avec énergie les dangers, la misère, l’odieux de ce qui est aujourd’hui. Cette façon de voir, générale parmi les gens raisonnables, s’appelle être conservateur. Gennevilliers se portait entièrement de ce côté ; ses convictions étaient inébranlables. Le tout reposait sur un fond de sable composé d’une grande douceur d’âme, d’une honnêteté timide, du culte pieux de la phrase, de beaucoup de faiblesse, de quelques doutes mal enterrés sous une couche de dogmatisme tranchant ; Gennevilliers était maire de son village, conseiller général de son canton et député de son arrondissement.

Dans le monde, on l’estimait ; son nom appelait naturellement l’éloge. On n’aime guère, nulle part, les tempéraments fougueux, amoureux fous de la vérité, qui la cherchent dans des chemins peu battus. De tels caractères ont l’air de croire et de faire entendre que les lieux communs ne les contentent pas ; ils blessent les amours-propres. Gennevilliers ne blessait personne. Il ne se promenait que sur les grandes routes et ne signalait que les points connus de chacun. Sa femme éprouvait pour lui une sympathie affectueuse. Comme il soutenait constamment et en bons termes les opinions incontestées dans le milieu où il vivait, elle était persuadée de sa valeur et