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et non-seulement il l’aperçut, mais il le vit tenant Harriet dans ses bras et embrassant cette chère fille.

C’eût été chose bien autrement facile à un chameau de se promener de long en large dans le trou d’une aiguille, qu’au pauvre Coxe de laisser pénétrer dans son âme candide l’ombre d’une mauvaise pensée ; de sorte qu’il s’arrêta sur le seuil, surpris, mais nullement scandalisé. Cependant les amants ne s’attendaient pas à être interrompus de la sorte, et ils restèrent un instant indécis. Ce fut Nore qui dit à Harriet :

— Ne voulez-vous rien raconter à votre père, ma chérie ?

— Mon père, M. Nore et moi nous sommes engagés.

Coxe ouvrit des yeux démesurés, contempla sa fille avec ravissement, en fit autant de Wilfrid, et s’écria :

— Oh !

Puis, sans ajouter une parole, il croisa les mains sur sa poitrine et leva les yeux au ciel. Manifestement, le pauvre pensait avant toute autre chose à remercier Dieu. Nore lui serra la main ; Harriet l’embrassa et posa sa tête sur son épaule ; mais Coxe se dégagea doucement et se retira à pas lents vers sa chambre. Là, ayant fermé la porte, il se mit à genoux devant une chaise, cacha sa grosse tête dans ses mains, et ce qu’il dit à quelqu’un, il n’est pas trop aisé de le savoir, puisqu’il était tout seul ; mais si ce fut une méditation pleine d’attendrissement sur le huitième verset du psaume 86 : « Seigneur ! il n’y a aucun entre les dieux qui soit semblable à toi, et il n’y a point de telles œuvres que les tiennes », il n’y a pas grand sujet de s’étonner.

Nore, en quittant Harriet, s’en alla le long de l’Arno. Il regardait autour de lui et trouvait sublime le spectacle déroulé sous ses yeux par la nature. Florence est belle, il