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lune de miel, que j’aie pour vous un caprice, que la résistance excite ma fantaisie ? Un tel enfantillage ne m’est pas du tout nécessaire ; je ne puis me passer d’une amie. Il me faut une amie ! quelqu’un dont le cœur soit d’or, sûr, pur, éprouvé comme l’or ! J’ai trouvé Harriet ; elle a ce cœur-là ; je le connais, je l’ai deviné, je l’ai compris il y a des années. Quel aveugle serais-je de laisser un tel trésor enseveli dans son abnégation cruelle, lorsque je ne puis pas m’en passer ! Mon Harriet, ma bien-aimée, vous voulez des paroles de raison ? Vous voyez bien que je vous en donne. Laissez-vous persuader ; vous vous êtes défiée de l’enfant dont le caractère, en changeant avec les années, pouvait emporter l’amour ; le caractère a changé, sans doute, et l’homme a laissé tomber sur les chemins bien des rêveries ; mais, vous le sentez, n’est-ce pas ? l’amour est resté. C’est pour moi comme l’arche sainte était pour les Hébreux. Les générations des croyants mouraient successivement autour d’elle ; la maison divine, promenée partout au milieu des tentes voyageuses, dans les déserts, remisée au hasard dans les cabanes, voyait autour d’elle changer les paysages ; oui ! mais elle, elle ne changeait pas, et, un jour, elle se trouva placée dans le plus beau temple qui fût jamais ! Eh bien ! Harriet, vous êtes assurée maintenant qu’il en est de même pour vous ! Mon arche sainte, à moi, c’est l’affection que je vous porte. Je l’ai conservée toujours, je l’ai toujours vénérée ; elle m’a dirigé dans tout : c’est l’étoile de ma vie. Je veux me reposer à jamais sous ses rayons, la plus douce, la plus caressante des lumières ! Et si vous m’aimez, et si vous êtes juste, vous ne sauriez m’opposer des méfiances que je ne mérite pas.

Harriet n’osa répondre directement ; son cœur était trop plein. Elle se sentait si faible devant le langage de Wilfrid,