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— Rien n’est fini, et je ne retourne pas sur ce que je n’ai jamais quitté. Vous aimez la raison, Harriet ? Je vais donc vous parler raison.

Il reprit sa main qu’elle défendit faiblement ; elle était trop émue. Pour lui, il avait légèrement rougi, ses yeux brillaient, son âme était tout entière dans ses regards et allait vibrer dans son langage.

— Pourquoi ne m’aimez-vous plus ? dit-il ; pourquoi ne m’aimez-vous pas ? Moi, je n’ai jamais aimé que vous, songé qu’à vous. Depuis des années, je vous ai quittée ; j’ai regardé par le monde si je trouverais une autre femme prête à me donner seulement la moitié de ce que j’ai vu et désiré en vous. Je l’ai cherchée de bonne foi, je ne l’ai pas rencontrée ; je sais qu’elle n’existe pas, cette nature si désirée de la mienne et qui peut me faire monter à l’unique espèce de bonheur créé pour moi. Que voulez-vous que je fasse sinon de vous répéter : je veux vivre avec vous.

— Je ne vous aime pas, murmura Harriet, tenant toujours la tête basse et avec l’accent qui repousse une allégation insoutenable.

— Oui, vous m’aimez ; mais je vous vois, je vous comprends, je vous connais ! Une générosité mal placée, un dévouement irréfléchi vous réduisent à un sacrifice qui vous navre. Parce que vous souffrez, vous croyez bien faire. Ne persistez pas ! Votre malheur et le mien, oui, le mien pour toujours, seraient l’unique résultat de votre misérable héroïsme. Vous êtes plus âgée que moi, et dans quelques années, pensez-vous (peut-être allez-vous jusqu’à vous dire dans quelques mois), le jeune mari n’éprouverait plus pour sa femme trop grave que le souci résultant d’une union mal proportionnée. Croyez-vous donc que je cherche en vous les amusements d’une