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du cœur, cette remarque lui plut, et elle abdiqua volontiers ; levant les yeux avec une sorte de timidité, elle répondit donc :

— C’est vrai, j’ai été un peu malade, Wilfrid. Mais je vais reprendre promptement. Il ne me faut guère que des soins.

— Vous n’en manquerez pas, dit Wilfrid ; et c’est moi qui m’en charge.

Elle se mit à rire :

— Comme c’est bon à vous ! Pour combien de jours ?

— Pour le reste de votre vie et de la mienne.

— Quel sens voulez-vous que j’attache à des paroles si exagérées ?

— Elles ne sont pas exagérées le moins du monde ; j’ai l’intention d’obtenir votre main, et il me semble naturel qu’un mari s’occupe à perpétuité de votre bonheur personnel, trop négligé jusqu’ici.

En parlant de la sorte, Nore regarda Harriet dans les yeux ; elle comprit que c’était sérieux et arrêté à l’avance, et qu’un refus n’allait pas trouver une soumission facile. Troublée de toutes manières, au moment même où elle se croyait certaine de n’avoir plus même la moindre parcelle du cœur de Wilfrid ; ne s’étant plus attendue à le voir, le revoyant autre qu’elle ne l’avait connu ; au fond, saisie dans la plénitude de son être par un transport de bonheur irrésistible, elle ne sut d’abord que baisser la tête, et, hors d’état d’articuler un mot sur ce qu’elle voulait ou pensait, jamais créature humaine ne se vit jetée plus loin et plus en dehors de sa propre possession.

Cependant, à la fin, elle mit ses mains sur ses yeux, appuya ses coudes sur la petite table placée devant elle et murmura d’une voix presque indistincte :

— Wilfrid, ne revenons pas sur ce qui est fini.