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ginait pas qu’une pareille indiscrétion fût possible. Il le fit cependant ; sa tendresse pour Harriet l’emporta sur tout, et l’éleva jusqu’à l’héroïsme. Sans rien dire chez lui, comme un confesseur de la primitive Église qui se fût rendu tout seul à l’amphithéâtre, dans le but réfléchi de s’y faire dévorer par un tigre, Coxe, rouge, pâle, démesurément troublé, alla faire une visite au Résident.

Celui-ci connaissait peu le missionnaire, mais le savait tout à fait digne d’estime. Il le reçut à merveille et se montra disposé à l’écouter avec bienveillance. Coxe appela à lui son courage et exposa que de malheureuses circonstances de famille lui faisaient désirer d’aller passer quelque temps en Angleterre. Il avait d’abord résolu de ne pas entrer dans les détails de ses pensées, ni même d’en dire la cause, se bornant à les laisser entrevoir ; car, quelle apparence y avait-il à ce qu’un Résident de Sa Majesté britannique, un si grand personnage, pût condescendre à s’intéresser à la maladie de la pauvre fille d’un simple missionnaire ? Cependant il ne se tint pas parole ; il s’émut en parlant, et avoua qu’il avait peur de voir mourir son Harriet, s’il ne l’emmenait pas. Il était désolé ; car il n’avait pour vivre que sa profession, et s’il partait, que devenir ? Pourtant, que résoudre ?

Le Résident l’avait écouté avec les marques d’un intérêt véritable :

— Il vous faut demander un congé aux chefs de votre Société. Depuis combien de temps êtes-vous en Asie ?

— Depuis dix-huit ans, monsieur.

— Et vous n’avez jamais interrompu vos fonctions ?

— Non, monsieur, répliqua Coxe, et je puis vous assurer que je les continuerais de mon mieux, comme j’ai fait jusqu’ici, sans le malheur sous lequel je succombe.

Le Résident comprit que Coxe considérait comme mon-