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rées sur des livres arides ! Pauvre, pauvre Harriet ! Elle avait été une exilée, une ménagère surchargée, une maîtresse d’école anxieuse ! Combien l’amour lui était nécessaire ! Comme il l’eût relevée, consolée, guérie ! Elle l’avait brisé sous les doigts de la raison et de l’honneur.

Après une année et plus, elle réunit ce qui lui restait de vie et de goût pour la vie. Ce n’était pas beaucoup. Cependant elle put se lever, se mouvoir, faire ce qu’elle faisait d’ordinaire. Son père, au comble de la joie de la voir debout, habillée, présidant aux repas, en conclut que bientôt la pâleur, l’émaciation de son enfant feraient place aux belles couleurs, à l’embonpoint qu’il lui avait connus, et, se disant toujours : elle va mieux, elle guérira ! il attendit patiemment et s’accoutuma à la voir telle qu’elle était : de beaux grands yeux, une blancheur de cire, une expression de douceur céleste, quelque chose de noble, oui, de divin dans sa personne. C’était le sceau de la victoire posé sur celle qui avait bien combattu. Mais il ne le discerna pas, n’ayant pas connu la lutte ; il ne put que secrètement admirer sa fille telle que Dieu la lui laissait.

Les sculpteurs grecs ont connu la Beauté. Ils l’ont vue émue quelquefois, mais par des passions simples comme elle. Ils ont contemplé dans cette sublime image l’intelligence droite, cherchant peu, trouvant ce qu’elle voulait ; les fronts bas, aux tempes puissamment développées des statues et de toutes ces figures promenées au long des bas-reliefs, ne montrent pas davantage. La pensée de ces temps fournissait aux artistes un thème admirable et court. Peu de moyens existaient de le varier ; en le reproduisant sans cesse, sans cesse on en perfectionnait les détails peu nombreux, d’autant plus faciles à rendre, et c’est ainsi que l’art antique toucha à la perfection.